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    Initiative fédérale pour la suppression des forfaits fiscaux : comment la combattre ?

    Par Philippe Kenel, avocat à Lausanne

     

    Pour vaincre l’initiative fédérale tendant à la suppression de l’imposition d’après la dépense qui réduirait à néant des décennies d’efforts consacrés à la promotion économique destinée à attirer les personnes privées fortunées en Suisse, il y a lieu de tirer les leçons de la votation sur l’initiative Weber par laquelle le peuple suisse a accepté le 11 mars 2012, à la surprise quasi générale, de limiter le nombre des résidences secondaires à 20% par commune. Ces leçons sont les suivantes :

    1. La campagne contre cette initiative doit être lancée rapidement. L’expérience démontre que les initiants d’initiatives portant sur des sujets faisant appel à des sentiments épidermiques de la population, telle la jalousie, ont tout intérêt à ce que la campagne soit courte. Plus la campagne est longue, plus les citoyens prennent le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre, et de revenir à des prises de position plus rationnelles. J’ai rencontré de nombreuses personnes qui m’ont avoué que si elles avaient mieux réfléchi aux conséquences de l’initiative Weber, elles n’auraient pas voté pour.
    1. Il est illusoire de croire que l’exigence de la double majorité de la population et des cantons est un garde-fou suffisant pour préserver la Suisse d’initiatives allant à l’encontre de ses intérêts économiques. Par conséquent, il est impératif de mener campagne dans tous les cantons.

     

    1. Le système médiatique actuel exige que le citoyen puisse mettre des têtes sur les idées. À ce titre, Franz Weber est un exemple. Il faut que des chefs d’entreprises bénéficiant de la présence des forfaitaires en Suisse s’engagent à titre personnel dans la campagne. Je pense notamment aux banques, au secteur de l’immobilier, à l’hôtellerie et la restauration, à l’industrie du luxe et à celle de l’automobile. Les associations représentants ces domaines d’activités doivent informer leurs membres qu’ils bénéficient de la présence des forfaitaires en Suisse. Il serait paradoxal qu’un garagiste vote pour la suppression du forfait alors qu’il vend, sans le savoir, plus de la moitié de ses véhicules de luxe à des forfaitaires.
    1. Il serait suicidaire que le Conseil fédéral ne présente pas un contre-projet. Il est vrai que les conditions pour l’obtention du forfait ont déjà été durcies dans la législation fédérale en 2012. Cependant, il serait absurde de refaire la même erreur que dans le cadre de l’initiative Weber où le Conseil fédéral soutenait que la modification de la Loi sur l’aménagement du territoire tenait lieu de contre-projet. L’un des points essentiels du contre-projet devrait être de fixer à CHF 300'000.- le minimum des dépenses pour l’impôt communal et cantonal. L’une des qualités essentielles du peuple suisse est d’être raisonnable. Si on lui présente la suppression d’un statut qui contribue à la richesse de la Suisse et un contre-projet qui en durcit les conditions, il est fort probable qu’il votera pour le contre-projet.

    Cette initiative revêt un caractère particulier à un double titre. Tout d’abord, il est inutile de se leurrer en croyant que l’on pourra convaincre une partie de la gauche qui par essence hait les riches. En revanche, je suis convaincu que la gauche pragmatique est sensible aux intérêts économiques que représente l’impôt d’après la dépense surtout si le contre-projet est attractif. Néanmoins, l’enjeu se situe essentiellement au niveau des riches suisses jaloux de voir que les forfaitaires ne paient pas proportionnellement le même montant qu’eux. Ces derniers doivent être convaincus par les deux arguments suivants. D’une part, la situation du forfaitaire n’est pas comparable à la leur et, par conséquent, pas inégalitaire, dans la mesure où la personne imposée d’après la dépense n’a pas le droit, contrairement à eux, d’avoir une activité lucrative en Suisse. Il est d’ailleurs important que les autorités cantonales compétentes contrôlent de manière stricte le respect de cette condition. D’autre part, une certaine gauche, en s’inspirant d’ailleurs du modèle de l’UDC, travestit la démocratie directe suisse en utilisant l’initiative populaire afin de faire de manière permanente campagne durant les législatures. L’UDC s’attaque aux étrangers et cette partie de la gauche aux riches. A ce jour, aucune des initiatives anti-riches n’a passé. Ceci dit, si par malheur l’initiative contre les forfaits devait passer, cela donnerait des ailes à ses initiants qui multiplieraient les initiatives, cette fois non pas contre les riches étrangers, mais contre les riches suisses. Par conséquent, les personnes aisées suisses, même si elles ne devaient pas être convaincues de l’imposition d’après la dépense, devraient voter pour son maintien afin de ne pas être la prochaine cible.

  • Par ailleurs, la situation ne se présente absolument pas de la même manière en Suisse allemande et en Suisse romande. En effet, le taux de l’impôt sur la fortune est tellement plus bas dans un certain nombre de cantons suisses allemands qu’en Suisse romande, que, même sans l’impôt d’après la dépense, ces cantons resteraient attractifs pour les personnes fortunées étrangères, alors que des cantons comme Vaud ou Genève ne le seraient plus du tout. À titre d’exemple, une personne propriétaire d’une fortune de CHF 10 millions domiciliée à Genève paie environ CHF 100'000.- d’impôts annuels sur la fortune, alors que ce montant s’élève à environ CHF 24'000.- à Lucerne et à CHF 15'000.- à Schwyz. Néanmoins, il est impératif que les forces de droite et de la gauche pragmatique défendent le forfait peu importe quelles soient d’origine suisse romande, alémanique ou tessinoise. Dans d’autres occasions, où l’enjeu sera non pas en Suisse romande ou au Tessin, mais en Suisse allemande, les forces précitées romandes et tessinoises leur renverront l’ascenseur.

    En conclusion, en tirant les leçons de l’initiative Weber, les forces de droite et de la gauche pragmatique ainsi que les milieux économiquement concernés de toute la Suisse doivent s’engager rapidement pour défendre l’imposition d’après la dépense qui est l’un des fleurons de la promotion économique suisse.